Bulletin Juridique

La compliance sociale et le recours détourné aux travailleurs indépendants

15/03/2023 – UGGC Avocats

L’intérêt d’établir un programme de conformité réside dans un premier temps dans la perspective de garantir la conformité réglementaire de l’entreprise, notamment au regard de son champ d’activités. Dans un second temps, un tel procédé renforce également l’environnement éthique au sein de la société, favorisant son développement et sa productivité.

Dans cette perspective, la compliance sociale doit faire l’objet d’une attention particulière afin de prévenir les sanctions civiles, administratives et pénales particulièrement saillantes dans la plupart des systèmes juridiques modernes.

Le phénomène du salariat déguisé ou du travail dissimulé est l’un de ces sujets d’attention. Si les différents systèmes en retiennent une définition globalement uniforme peu important la qualification du contrat retenue par les parties, sa caractérisation peut s’avérer assez disparate localement. Les tribunaux se doivent en effet de composer et de s’adapter aux nouvelles formes d’externalisation dans un contexte grandissant d’ubérisation du travail.

Au Brésil, le phénomène du « pejotização » – qualifiant péjorativement la pratique d’embaucher systématiquement de faux travailleurs indépendants dans le but d’échapper à la législation du travail fait l’objet d’une préoccupation majeure et en constante évolution.

En dernière date et de façon notable, la Cour Suprême Fédérale (STF) a été amenée à se prononcer sur la pratique d’un organisme social chargé de gérer quatre hôpitaux publics et une unité de soins d’urgence ayant recouru à des médecins s’étant spécifiquement mis sous forme de personne morale externe pour l’occasion, ce qui avait conduit le Ministère Public du Travail à saisir le tribunal régional. 

Malgré l’avis du rapporteur concluant à l’illicéité de la situation, la STF a jugé la pratique licite dans ce secteur[1] tout en soulignant que l’engagement de cette action par le Ministère public ne serait justifié qu’en présence de travailleurs à faible revenu, malgré des indices quant à l’existence d’un lien de subordination.

En France, l’existence de ce lien de subordination – défini comme l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements – reste centrale dans la question de la requalification d’une relation contractuelle en contrat de travail.

Au-delà des contentieux classiques en la matière, l’actualité judiciaire est surtout marquée par les revers qu’essuient successivement certains géants des plateformes de travail numériques ayant parfois sous-estimé les incidences d’une transposition à l’état brut de leur mode de fonctionnement, même si les pouvoirs publics n’y semblent parfois pas étrangers.

De Take Eat Easy[2] à Deliveroo[3] en passant par Uber[4] dont la dernière et historique condamnation[5] à verser plus de 17 millions d’euros à 139 de ses chauffeurs résonne encore, les requalifications en contrat de travail et condamnations pour travail dissimulé se succèdent.

Ces exemples ne sont pourtant qu’une simple illustration de l’appréciation à laquelle se livrent les juges pour caractériser l’existence d’un lien de subordination suivant la fameuse méthode dite du « faisceau d’indices », que les juges transposent à ces nouvelles formes de collaborations précaires.

La diversité des solutions retenues conduit aujourd’hui l’Union Européenne à se saisir de cette épineuse question avec la proposition de Directive Européenne consacrée à l’amélioration des conditions de travail des utilisateurs des plateformes numériques adoptée par le Parlement le 2 février dernier et qui instaurerait notamment une présomption réfragable de salariat loin de faire l’unanimité.

Quoiqu’il en soit et peu important son implantation et son secteur d’activité, chaque entreprise doit être au fait des risques liés à l’externalisation de ses ressources que seul un programme de compliance permet de sécuriser ou à tout le moins d’anticiper. Dans un marché du travail en perpétuelle mutation, cette compliance suppose une analyse personnalisée et concrète du modus operandi de la société qui doit nécessairement dépasser le cadre officiel retenu par les parties ou parfois subi par l’une d’elles.

                                                                                                               

[1] En ce sens voir, RCL 47843/STF. Disponible sur : portal.stf.jus.br/noticias/verNoticiaDetalhe.asp?idConteudo=481399&ori=1

[2] Cass. Ch. Soc., 28 novembre 2018, n° 17-20.079

[3] T. corr. Paris, 19 avr. 2022 ; CA Paris, Pôle 6, Ch. 6, 6 juillet 2022, n°20/01914

[4] Cass. Ch. Soc.., 4 mars 2020, n°19-13.316

[5] CPH Lyon, 20 janv. 2023, n° 20/00746

                                                                                                                    

Auteurs :
UGGC Avocats
Jennifer Carrel et Ariela Duarte (partenaires du Département Droit duTravail)
Renato Campos Andrade (responsable de la compliance au Brésil)
François Marteau (collaborateur du Département Droit du Travail)
UGGC Avocats

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