Bulletin Juridique

Signification d’actes de procédures à l’encontre d’une personne morale étrangère : le Supérieur Tribunal de Justice (« STJ ») brésilien écarte les principes fondamentaux de la personnalité morale.

Dans des arrêts récents, le Supérieur Tribunal de Justice (« STJ ») brésilien a adopté une interprétation très large de l’article 75 du Code de Procédure Civile, qui dispose sur les significations des sociétés étrangères, objet de procédures au Brésil.

Selon l’art. 75 du code de procédure civile brésilien :

« Art. 75 : Seront représentés en justice, active ou passivement :

(…)

X- La personne morale étrangère par le gérant, représentant ou administrateur de son (*), agence ou succursale ouverte ou installée au Brésil.

  • 3ème : Le gérant de la succursale ou de l’agence est présumé être autorisé par la personne morale étrangère à recevoir une assignation pour toute procédure ».

 (*) Pour la compréhension de cet article, nous observons que l’article 75 du CPC mentionne aussi « filiale ». Il s’avère que le mot « filiale » en droit brésilien est un faux ami du même mot en français. Une « filiale », en droit brésilien, n’a pas de personnalité morale qui lui soit propre ; elle est, tels la succursale ou l’établissement, un bras de la société. Ainsi la traduction correcte en français, du mot « filiale », dans le sens donné par le droit brésilien, serait « succursale » et la traduction correcte en portugais, du mot « filiale », dans le sens donné par le droit français serait « subsidiária ». Ainsi nous l’avons supprimé dans la traduction pour ne pas répéter deux fois le mot succursale et l’avons remplacé par (*).

Dans deux arrêts récents concernant WhatsApp Inc. et Crossports, société off-shore dont le Directeur était la société Amicorp Management Ltd., le STJ a adopté une interprétation extensive des figures juridiques de « (*), agence ou succursale ».

Dans ces deux arrêts, le STJ a considéré qu’une société étrangère pouvait être valablement signifiée d’une procédure intentée contre elle au Brésil, en la personne d’une société sœur, contrôleuse ou contrôlée domiciliée au Brésil. Comme justificative, le STJ avance que les termes dudit article 75 du CPC – « (*), agence ou succursale » – ne devaient pas être interprétés de manière restrictive. Le STJ considère qu’une société étrangère peut agir au Brésil à travers une société sœur ou contrôlée, laquelle agirait en quelque sorte comme une succursale ou agence, pouvant ainsi recevoir, au nom de la société étrangère, une assignation. 

Le STJ, levant le voile sociétaire en matière de signification d’actes de procédure, bafouille les limites de la responsabilité de la personne morale qui constitue un moyen efficace de séparation de patrimoines et responsabilités, non seulement entre la société elle-même et ses actionnaires ou associés, mais également entre la société et des autres sociétés au sein d’un même groupe économique.

En 2019, la loi n. 13.874 a rajouté dans le Code Civil, un article très clair dans ce sens :

« Art. 49-A : La personne morale ne se confond pas avec ses actionnaires, associés, fondateurs ou administrateurs.

Paragraphe unique : L’autonomie patrimoniale des personnes morales est un instrument licite de l’allocation et ségrégation des risques, mis en place par la loi avec la finalité d’encourager des activités entrepreneuriales, pour la génération de l’emploi, impôts, revenus et innovation au bénéfice de tous. »

En plus d’ignorer les fondements de la personnalité morale, dans ces décisions le STJ écarte, pure et simplement, les dispositions du Code de Procédure Civile en matière de signification par « rogatória » (transmission par parquet) et d’éventuels traités internationaux en matière de coopération judiciaire comme il s’avère être le cas avec la France.

Certes, le droit brésilien, dans l’article 50 du code civil, prévoit la levée du voile sociétaire, mais dans des cas très précis et limités d’abus de personnalité morale, de détournement de finalité (fraude aux créanciers ou pratique d’actes illicites) ou de confusion entre le patrimoine des associés et de celui de la société.

Ce même article 50, dans son § 4º dispose que « la simple existence d’un groupe économique sans que les critères énoncés au chapeau dudit article ne soient présents ne permet pas la déconsidération de la personnalité juridique »

La levée du voile sociétaire doit demeurer l’exception. Elle doit être le résultat de l’analyse du cas concret, à la suite d’une demande expresse de la partie concernée ou du Ministère Public.

Dans l’arrêt « Facebook » du 24 juin 2020, le STJ a déterminé que non seulement la société WhatsApp Inc. pouvait être assignée en la personne de sa société sœur Facebook do Brasil, mais également qu’à défaut de comparution de WhatsApp Inc. l’astreinte ou d’autres mesures exécutoires, telles que les saisies (via système BacenJud) pouvaient être appliquées à l’encontre de Facebook do Brasil.

Ce revirement jurisprudentiel, de notre point de vue aberrant juridiquement, va certes accélérer les procédures à l’encontre des sociétés étrangères, contournant ainsi la nécessité d’une assignation internationale par transmission par Parquet (« rogatória »), procédure pouvant s’avérer longue et infructueuse.

Un autre point d’attention concernant l’arrêt « Crossports » est l’admission par le tribunal du renouvellement tacite des procurations de représentation de sociétés étrangères au Brésil exigées par l’article 119 de la loi n. 6.404.

Le Code Civil brésilien, dans son article 682, indique clairement que le mandat prend fin au terme de son délai de validité.

Cette interprétation qui admet le renouvellement tacite d’une procuration dont le terme a échoué est très dangereuse pour les mandataires, qui resteraient à tout jamais attachés aux ex-mandants avec toutes les conséquences patrimoniales qui cela peut représenter.

Sachant qu’un des rôles du STJ est d’uniformiser l’interprétation des lois fédérales infra constitutionnelles, qu’on soit d’accord ou non avec leur contenu, ces arrêts ont un poids significatif et doivent être pris en compte par les sociétés étrangères qui travaillent avec le Brésil.

Les informations contenues dans cet article n’engagent que ses auteurs. Le rôle de la COMJUR se limite à la divulgation des productions intellectuelles de ses membres, n’exerçant aucun contrôle sur le fond du sujet. 

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